C’est avec beaucoup d’empressement que je me suis mis à lire Sérotonine de Michel Houellebecq avec quelques années de retard sur sa sortie. Si j’évoque ce détail, c’est qu’en règle générale, les romans de cet auteur font toujours grand bruit au moment de leur sortie et qu’il y a souvent des débats insignifiants à propos de thèmes parfois polémiques (islam) abordés par l’auteur dans ses récits. De mémoire, je ne me souviens pas qu’il y ait eu un choc médiatique à la sortie de Sérotonine en 2019. « Normal » vous allez me dire, dans ce roman Michel ne parle pas d’immigrés ni de la religion-de-paix-et-d’amour, seulement de la classe moyenne française et des agriculteurs en difficulté. L’intelligentsia parisienne située à Saint-Germain-des-Prés s’en bat les couilles et ne s’offusquerait pour rien au monde de leur sort ou du traitement possiblement caricatural qui leur serait réservé. Michel Houellebecq organise donc son récit sur deux axes, le premier correspond à la vie personnelle du narrateur, Florent Claude, ingénieur agronome au ministère de l’agriculture et le second qui sert de toile de fond, la révolte paysanne française causée par des décennies de trahisons de l’élite en faveur du libre-échange : charges financières trop lourdes, normes environnementales insupportables, empilement de normes européennes ineptes et bien sûr mise en concurrence déloyale avec des pays qui se soustraient à tout cela en produisant pour bien moins cher. Le narrateur aborde ces sujets complexes avec beaucoup de facilité, comme à l’accoutumée chez Houellebecq. Des incises techniques sur le monde agricole peuvent ponctuer des discussions impliquant le narrateur ou ses pensées sans que cela nous paraisse artificiel. Si vous êtes habitués au style du romancier vous ne serez pas dépaysés car je n’ai pas l’impression qu’il ait beaucoup évolué stylistiquement. Ainsi, on retrouve sa patte très froide, très crue : pas de ronds de jambe, pas de description de l’environnement mais une analyse froide des comportements humains, de leurs habitus, de leurs faiblesses mises quasi systématiquement en exergue par l’auteur pour dérouler le fil de sa pensée sur l’état des sociétés occidentales contemporaines. Evidemment, pour moi, très critique de la modernité, cela marche à tous les coups et c’est en grande partie pour cela que j’admire cet auteur. Mais à proprement parler, j’oserais dire que de manière générale on se fait un peu chier dans les romans de Houellebecq, il ne se passe pas grand-chose en termes de narration, d’évènement, de péripétie… Particulièrement ici, dans Sérotonine le narrateur organise sa vie de sorte qu’elle soit la plus absurde et déprimante possible en évacuant tout ce qu’il possède pour une raison que je n’aborderai pas ici afin de ne pas divulgâcher. Sujet à dépression Florent-Claude tente de raccrocher les wagons d’une vie qui vaut le coup d’être vécue en se remémorant toutes les belles pages de sa jeunesse : amour d’adolescence, amitiés d’autrefois, lieux, souvenirs d’une époque où il aimait la vie sincèrement, où il était insouciant. Il va tenter de retrouver ces vieilles connaissances qui lui insuffleront peut-être la force d’embrasser la vie à nouveau, de lui donner un sens et surtout de la poursuivre dignement. Sur le plan psychologique, sur ce que cela dit de notre époque, oui c’est pertinent et passionnant, parfois bouleversant. La première moitié du roman, on ne s’attend pas à une telle descente aux enfers. J’ai éclaté de rire à plusieurs reprises tant l’humour houellebecquien fait mouche. La désinvolture des remarques du narrateur est à mourir de rire parfois (je n’exagère rien). Puis la seconde moitié du roman arrive et l’humour, les remarques truculentes laissent peu à peu place au cœur du véritable propos de Houellebecq empreint de nostalgie et d’amertume. C’est dans cette partie que le narrateur, Florent-Claude, progresse dramatiquement dans une dépression morbide et qu’il assiste, médusé, à la révolte paysanne causée par des décennies de souffrances et de trahisons comme vu plus haut. Je n’irai pas jusqu’à dire que Sérotonine est un roman difficile à lire sur le plan psychologique, mais sa noirceur m’a parfois médusé. A mettre au crédit de ce roman, on « étouffe » à mesure que s’approche la dernière page. En cela, c’est un tour de force de l’auteur : faire ressentir le mal-être de son personnage principal au lecteur. Enfin, j’ai remarqué que Houellebecq avait franchi une étape supplémentaire dans la provocation et l’horreur notamment grâce à trois passages traitant l’un de la zoophilie, l'autre de pédophilie et, quelques pages plus loin et sans rapport avec les deux autres, l’infanticide. Personnellement, je ne suis pas outré par ces thèmes dans le sens où un roman procède d’une licence artistique et que tout doit pouvoir être expérimenté. Mais cela fait quand même bizarre quand vous tombez dessus au détour d’une page ! Il se dégage un je-ne-sais-quoi d’artificiel dans ces trois passages. J’ai du mal à analyser l’intention de l’auteur mais la provocation pour la provocation, je ne suis pas adepte, et connaissant la personnalité de l’auteur, cela ne me surprendrait aucunement. J’accorde le bénéfice du doute et n’en tient nullement rigueur dans mon appréciation générale du roman. Cependant je garde à l’esprit cet aspect de son écriture désormais car je ne l’avais jamais remarqué dans ses autres romans.


Sérotonine est un très bon roman de Michel Houellebecq, original de par les thèmes qu’il aborde même si nous sommes déjà habitués à ce que le monde agricole fasse partie des histoires de l’auteur étant donné qu’il fut lui-même ingénieur agronome (diplômé en 1978) avant d’être l’écrivain millionnaire d’aujourd’hui et que, par conséquent, un certain nombre de ses personnages des romans passés appartenaient déjà à ce petit milieu. Cependant, aborder le mal-être des agriculteurs et en faire le ressort principal de son livre est une étape qu’il n’avait jamais franchie et qui, de manière générale, n’intéresse pas le monde littéraire parisien. En revanche, j’ai un peu de mal à situer ce roman dans l’œuvre globale de l’auteur dans le sens où je ne sais pas ce qu’elle apporte de plus sur la vision du monde houellebecquienne. Chaque roman auparavant proposait un angle d’attaque inédit sur la critique du monde occidental moderne, tous les mantras progressistes y sont passés : féminisme, immigration, islam, sexualité, science, sécularisation et perte de sens etc. Dans Sérotonine je perçois la notion de temps qui passe ou peut-être la trahison des élites ? Mais la trahison des élites est en partie abordée dans Soumission (2015) … La peur de mourir éventuellement ? L’auteur s’approchant de plus en plus de Dieu (68 ans cette année) aborderait davantage ce sujet ? Sauf que le temps qui passe est un corollaire de la peur de mourir donc ces deux axes sont finalement similaires. Bref, dans tous les cas si vous appréciez l’auteur n’hésitez pas à vous le procurer. J’ai passé un excellent moment malgré le pessimisme accru qui se dégage des aventures de ce cher Florent-Claude.


silaxe
8
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le 1 mai 2024

Critique lue 3 fois

silaxe

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